28 janvier 2010

Colin Folie, un ange poétique foudroyé - E.S.

Colin Folie était un pur concentré de poésie. Il a vécu un chemin de croix où, à l'instar d'un petit Poucet des temps modernes égaré dans un monde qui n'en a jamais fini de se déshumaniser, il a semé des vers rythmés par l'urgence de vivre intensément et des phrases bien balancées qui invitent le plexus solaire à faire un sacré yo-yo.
Ceux, ils sont nombreux, le personnage était dans la vie, et non pas du genre tour d'ivoire, qui ont croisé son ombre de feu, se souviennent de sa passion à dire, à écrire, à dessiner dans l'espace des gestes de plume pour caresser cet absolu dévorant tant recherché des artistes.
Son or poétique a trouvé sa source à la lecture des Rimbaud, Lautréamont, Artaud, Michaux, Neruda et les autres. Dans sa galaxie, les poètes maudits, ils forment une armée en déroute quand la page blanche, allumeuse, se montrent en dessous chics, sont chéris bien sûr. Mais tant d'autres aussi ont donné à boire à sa soif d'ailleurs, comme les beatniks, Kerouak, Ginsbergh et tous ces foutus allumés qui ont bien bougé leurs culs, en parcourant des kilomètres illicites.
Colin aussi a vécu dans des zones interdites, cultivant le chaos pour chatouiller de sa plume enjôleuse les muses. Erato, en guenilles, avait ses faveurs. Officiellement, à l'Etat civil, c'était Rémi Demolder. Mais lui, c'était choisi un nom de scène, un pseudo plus seyant à son âme d'Albatros, Colin Folie.
Colin, parce que la lecture de l'Ecume des jours de Vian, lui avait mis un joli coup d'enclume esthétique sur la tête et Folie parce que sans Folie pas d'art possible. Alors extrait. Un poème tiré de son recueil de poésie, "Fascisme de clown", publié de son vivant, à très peu d'exemplaires, cela va sans dire. Je me souviens, saltimbanque farceur, il écumait une foire marchande pour le vendre à la criée.


Nous resterons silence
Au creux de nos baisers
Nous serons l'écume
Brisant amoureux
Le calme d'une vague
Nous serons ivresse
Caressant de nos doigts
Nos désirs typhons
Nous porterons aux sirènes
Nos mots d'amour
Envoûtement bémol
Nous chanterons nos corps
Sur des plages désertes
Je te dirai je t'aime
Tu me crucifieras
D'un sourire hypnotique
Nous éclaterons de miel et de lune


Avant le dernier voyage, celui programmé, de toute éternité, par la grande Faucheuse, avant les échouages hideux et les fatigues d'un corps qu'il a peu ménagé, brûlant forcément la chandelle par les deux bouts, il a partagé le gâteau du beau. Il a eu le tord de naître à une époque où le sida décimait à gogo sans qu'on sache trop ce qu'était ce virus. A la une des journaux, ou à la télé, cette maladie, d'abord celle des homos, ensuite des toxicos, en gros titres, réveillait des peurs ancestrales. On parlait pas encore de trithérapie. On parlait plus de punition divine. Le Colin Folie, l'ai connu, j'étais guère plus haut que trois pouces, dans la fleur de l'âge, il avait le cheveu long bouclé, une bouche à dévorer Saturne et le geste électrique. Plus tard, il me l'a écrit, avec des mots phosphorescents, avec le scolopendre de cette maladie qui lui courait dans les veines, de lentes mais inévitables dégradations et décompositions de tout son être et de ses forces créatrices accompagnées et ses jours et ses nuits. Alors extrait d'une lettre, tirée au hasard d'une correspondance volumineuse et lumineuse.
(...)


Le papillon dans les burnes déploie ses cotillons...L'électrisme source a fui les marais par peur de l'hydre.. Quel couard!!!les muscles avilis, j'absorbe l'éponge grosse qu'elle est de degrés dégoulinants sur ma moquette mentale.
Ô poivresse pinard...donne m'en des kils de ton azur...Fous-moi une nifle, un niflon violacé qui nous éructe sa confiture... Jaja salope donne-moi un verre... Ra nous fait encore ses déliriums...à voir des sales petites teignes d'humains il se lamente...crachant son sperme-feu sur nos épaules chargées... Ô vous savez, il y a nos légendes...celles qu'on donne en pâture aux végétaux gribouillards..Il y a nos vies aussi, engrossées par l'aurore, avec nos filles-queues dans la poubelle...Avec...mon sang, mes mots...et la violence sur sur nos murs et les lambeaux de l'imposture... Avec des flammes à nos rideaux...aussi le luxe de la misère... Misayre...Misayre...Misayre...temple occitan de nos cerveaux... Couper nos cous à la tristesse..Foutre son vit dans l'univers...Éclabousser...Éclabousser à jamais les astres interdits..regarde l'Aujour qui m'fait la nique...et ces pestilences secondes qui chronomètrent la nausée...Flamber d'extase dans nos viandes-musées...Insulter la chair...S'bourrer la gueule tout simplement...J'onomatopèse mes mots... J'articule machinalement le substantif testicule... Et je rogne...Et je rogne, j'éclate de rire, de pure démence, copulez, copulez messieurs les rustres...mais laissez-nous donc nos tronches-cerceaux...Alors ne me trifouillez plus l'oignon avec votre acacadémisme frelaté!!! Le bleu plonge dans une cuvette, se lave les crocs et se fait beau...L'oiseau rugit sa fiente nouvelle...Et l'espoir guano , je m'interpose, je m'interpose...Ah les bruits intolérables du calme...ces cris serments à la porte de Rodez...Ma silhouette ciseau, vous offre mes lèvres (....)


Le dernier soupir lui a cloué le bec à cet oiseau du malheur, mais avant cela, il aura trouvé le temps de pondre un roman, son tire, 'L'enfant joue encore aujourd'hui", un texte, vraie lave en fusion, "soliloque", et aussi "En finir avec une route", un testament du langage écrit sous la forme d'un poème-roman.
Plutôt qu'un passage éclair, mieux vaut parler de la traversée d'une comète dans une nuit étoilée. Les oubliés de la littérature, il en un est de plus. Et dans les cartons, ce chercheur d'or a laissé quelques beautés qui ne demandent qu'à vivre un peu, le temps d'une lecture, dans les yeux célestes du lecteur!
A bon entendeur...Plume dans le vent!