27 mars 2011

Bad Trip ou le suicide comme porte de sortie - E.S.

«C'est ainsi qu'une société tarée a inventé la psychiatrie pour se défendre des investigations de certaines lucidités supérieures dont les facultés de divination la gênaient. »

Antonin Artaud, dans Van Gogh le suicidé de la société

« La poésie est l'art d'utiliser l'excrément et de le faire manger au lecteur. »

Jean Genet



Au cœur de la nuit, plume tendresse, empruntée aux ailes du Phénix, écarte les lourdes ténèbres et caresse de blanches mains qui s'agitent papillons dans l'atmosphère, comme en rêve, en signe d'adieux éternels. Éclairée au néon des chers disparus, elle griffonne plume, allegro vivace, des symboles vrais sur le côté chair du parchemin, en buvant goulûment une encre de sang. Et d'un coup de langue de feu, lissée et inspirée, cet phanère vole au-dessus d'un vaste cimetière avec le secret espoir de dépoussiérer les tombes de ces êtres de dérive, usés et ravagés, qui depuis belle lurette, ont franchi les eaux noires du Styx.
Haletante et écumante, comme cravachée, éperonnée par l'instinct du beau, plume déchiffre alors un sombre codex imprimé avec de l'encre indélébile coupée à de la digitaline. En tourner les pages de ce Codex Suicidus, pour qui se lèche avec gourmandise les doigts, c'est, à l'évidence, s'inviter au bal des délires, en état d'ivresse. Le vertige est amer cependant. A l'écoute, le dernier soupir fait froid dans le dos. Codex déchiré par un cri d'effroi poussé par un ange exterminateur. Incomplet aussi, ce carnet sauvé du néant, car rédigé les nerfs tendus, cet inventaire des suicidés, se veut aussi un hommage orchestré musique, rendu à la mémoire de tous ces êtres célestes qui ont été source de lumière.
Égarés dans un environnement humain hostile, bonjour l''euphémisme sparadrap, ces sensibilités à incandescence, ont traversé le miroir. A bout de souffle, n'en pouvant plus du décorum, tous ces suicidés se sont cassés fissa, au chant du coq ou du cygne. Si vous recherchez l'amour dans ces lignes empuanties par des gaz méphitiques, yeux liseurs, qui enregistrent péniblement les ondes sismiques de ces lignes électriques, alors le mieux, c'est encore de tourner vos orbites ailleurs et de les orienter vers des contrées meilleures. Loin de ces zones sensibles et interdites, ici peintes, où l'angoisse crève ses bulles en surface. Peut-être alors vous y trouverez le petit livre rose tant recherché.
A l'étal des suicides, il y en a pour toutes les bourses et pour tous les appétits. Des suicidés, célèbres ou anonymes, de ces maudits dévorés par le goût de l'absolu, à la pelle comme les feuilles mortes des souvenirs, en ramasser, c'est possible. Suffit de se pencher et de s'épancher. De ces départs lents rythmés sur le même tempo que la valse des fleurs de Tchaïkovski ou d'autres exécutés,subito et rapido, comme ça, par bravade ou foucade, l''embarras du choix il y a, pour ces cérémonies du rideau baissé. Quand foutre le camp devient une impérieuse nécessité, c'est que le jeu de vivre n'en vaut plus la chandelle, point barre.
Fleurs de bitume au rimmel qui dégouline et au talon cassé et au bas résille déchiré qui tend la jambe pour vendre ses charmes venins, ombre squelletoïde qui aiguise son instrument luisant et tranchant des quatre saisons en buvant le lait de la lune dans son entier, la mort, pour fermer les yeux de ces amants, de ces voyageurs de l'absurde qui ont pris leur billet pour un aller sans retour, connait toutes les ficelles de son funeste ouvrage. Muerta de risa.
Alors oui putain, le suicide est cette fenêtre ouverte au dernier étage du dégoût de vivre par laquelle se jeter devient une évidence quasi mathématique. Cet acte de désespoir, souvent préparé avec une extrême minutie par les esthètes du genre, se veut aussi une délivrance. Impossible de respirer ici-bas, air trop vicié, la route est bordée de déroutes et de banqueroutes. De n'y comprendre rien, l'envie de quitter ce simulacre de vie est la plus forte. Muerta de risa.
Alors oui bordel de merde, l'idée du suicide s'invite et frappe au carreau comme un soleil noir dont les rayons transpercent la prison de l'âme. Vous recherchez l'amour dans ce monde de verre brisé? Mais voyons, personne n'aime personne et point d'exclamation! Cette vérité si énigmatique, hurlée à l'heure du loup solitaire, est un glaçon impossible à avaler? Au mieux, sourire soleil à l'horizon, le temps que les baisers butinés gardent l'angélisme du pur frisson, il y a la rencontre d' un grain de peau ami dans lequel il est bon de se réfugier. Il faut être alors un bon illusionniste. Au pire, la chute est perpétuelle et sans fond et là encore double point d''exclamation!!
Parler du suicide, parole de silex tranchant, c'est vouloir déchiffrer les hiéroglyphes des fatigues sans âge et interroger un sphinx qui sait l'or du silence. Plume ne craint pas les écorchures et encore moins les brûlures. Et câline, embrasse le marbre froid pour alléger le poids énorme des angoisses de tous ces inadaptés. Et, dans son vol nuptial, elle souffle des pétales de mots sur les maux de ces damnés de la terre.
Ci-gît Sénèque dans la mare de son sang, le philosophe antique s'est tranché les veines et offre cette libation à Jupiter libérateur
Ci-gît Virginia Woolf qui a rencontré sa mort par noyade se prenant pour un nénuphar va savoir
Ci-gît Cesare Pavese qui a pas supporté ce dur métier de vivre, il est parti après avoir écrit ce poème sublime, La mort viendra et elle aura tes yeux
Ci-gît Stig Dagerman gazé lui il était bien à bloc aussi, retrouvé mort dans sa voiture dont il avait fermé les portières et laissé le moteur tourner.
Ci-gît Nino Ferrer qui en guise de clin d'œil adressé à Van Gogh a vidé une dernière cartouche dans un champ de blé foutu corbeau et pan
Ci-gît Patrick Dewaere qui a bien regardé sa mort en face dans un miroir en se tirant une balle dans la bouche, avait-il lu Hemingway?
Ci-gît Camilla de Castro une fleur sexuelle troublante séropositive qui s'est défenestrée
Ci-gît Karen Lancaume après avoir avalé une trop forte dose de temazepam il fait froid de chez froid dans le X
Ci-gît Malcolm Lowry mort chien errant au-dessous du volcan après avoir avalé un dernier cocktail explosif, alcool et médocs et boumCi-gît Bernard Loiseau cordon bleu qui a viré œuvre au noir, stressé à donf qui a fini par plus supporter les strass, lui il a embrassé un fusil
Ci-gît Jean Seberg, sa voix fruitée dans, A bout de Souffle de Godard, vendant à la criée le New York Herald Tribune, elle a succombé à une surdose massive de barbituriques et d'alcool (8,2 g par litre de sang)
Ci-gît Jackson Pollock, s 'est tué dans un accident de voiture le 11 août 1956 dans la petite ville de Springs, située à Long Island, dans l'État de New York, il était ivre et roulait très vite.


C'est une bien triste chanson
Une java noire qui dit non
Avec dans la rime
Un goût de crime
C'est un adieu éternel
Dies irae sempiternel
La fin précipitée du tic-tac
Un fameux coup de Jarnac


Ci-gît Primo Levi qui a descendu l'escalier plus vite que son ombre mais comment vivre après Auschwitz?
Ci-gît Bernard Buffet ne pouvant plus peindre en raison de la maladie de Parkinson, met fin et à ses jours et à ses nuits
Ci-gît Ian Curtis chanteur de Joy Division mort par pendaison la mandragore a-telle poussé sous ses pieds?
Ci-gît Paul Célan qui a illustré le poème d'Apollinaire oui oui sous le pont Mirabeau coule la Seine
Ci-gît Richard Brautigan près du corps de l'auteur âgé de 49 ans, on a retrouvé un revolver calibre 44 magnum et une bouteille d'alcool
Ci-gît René Crevel, il quitte le plancher des vaches dans une poche de gaz dernier message « Dégoût »
Ci-gît Luis Ocaña, se sachant condamné à brève échéance il se suicide, Antoine Blondin a dit de lui, «Luis Ocaña n’était peut-être pas intrinsèquement le meilleur de la course, mais il en était le soleil »
Ci-gît Hunter Stockton Thompson, l'inventeur du « journalisme gonzo » met fin au cirque de sa vie avec une arme à feu à son domicile d'Aspen....


(Et cætera
Et trou à rat
Cri contrevie
Fin de partie)

E.S.