18 août 2011

Lire, relire, et rererererelire Brautigan l'insolite

Effeuiller Brautigan, c'est faire un plein d'oxygène dans les grands espaces ricains et y rencontrer des personnages improbables. Toujours bon à prendre pour la gueule surtout quand derrière la vitre, la pluie rigole.

Au sortir de La pêche à la truite en Amérique, l'appétit de vivre absorbe goulûment, à la paille, le nuage qui coiffe la tête et l'envie de mâchouiller un brin d'herbe alors est bien réelle et c'est le signe que le charme de sa prose opère sur le système nerveux.

Brautigan, la révélation, l'ai eu en bouquinant Tokyo-Montana express, déjà le titre me faisait penser à ce morceau de zizique de Kraftwerk, Trans-Europ-Express, qui, a très grande vitesse d'écoute, a traversé mon adolescence attardée évidemment. Le lisant, c'était comme si je buvais du petit lait. Un je-en-sais-quoi d'aérien et de fantaisie et aussi de tout-est-possible chez ce mec qui m'a trop plu.

Dans la Truite, les lèvres tremblent souvent et les yeux font un tour de grand huit, car des trésors de poésie il y a, à gogo. Allez soyons pas radasse, du genre " Il y a des truites qui meurent de vieillesse et leurs barbes blanches descendent vers la mer ", ou du genre, " Son corps tremblait à toute vitesse comme un télescope pendant un tremblement de terre ", ou encore de ce tonneau, " Exprimant un besoin humain, j'ai toujours voulu écrire un livre qui s'achèverait sur le mot "mayonnaise". " Et au final, le dernier mot, du livre, c'est à vous de le découvrir pardi !

Bon c'est clair, le pierrot lunaire a mal fini. Une dernière boutanche vidée à l'engouffrure et pan, fumée de révolver, un 44 Magnum. Comme tous les chercheurs d'or, il a payé le prix fort. N'empêche, il nous a légué des pépites et des lingots de beauté. Une fantaisie littéraire qui a quelque chose à voir avec l'art du douanier Rousseau. Dedans, c'est tout tendresse !

De l'art halieutique, dans la Truite, il est parfois question et souvent pas du tout, mais toujours sous la forme d'une foutue tranche de vie racontée avec cette poésie naturelle que Brautigan maîtrise sur tous les octaves. Minables ou grandioses, les parties de pêche parlent de pauvres bougres qui s'arsouillent grave et qui se couchent tout habillés ou de mômes qui se cachent dans les arbres pour pleurer, une mélancolie en clair-obscur dans la métaphore.

Parmi les dignes représentants de ce plein de vie qui fait danser les Belles Lettres américaines, il y a Miller, Fante, Kerouac, Bukowski, et aussi Brautigan le magnifique. Avec ces gus-là, toujours cette impression extraordinaire que tout ce tient, que c'est de l'ordre du château de carte et qu'il n'y a jamais une phrase en trop.

Son art est un patchwork de genres et de techniques littéraires, Brautigan négocie les virages de l'originalité, tantôt en appuyant sur le champignon, tantôt sur la pédale de frein.

C'est un beatnik Brautigan ! Et si vous l'apercevez sur le ruban routier, le pouce dressé, faisant du stop : ne pas hésiter à l'embarquer à bord ! C'est un compagnon de rêve quasi idéal.

En guise de conclusion, le mieux, c'est encore de redonner la plume à Brautigan, en citant un autre morceau d'éternité, " Nous sommes rentrés à Pensemort à pied, en nous donnant la main. Les mains, c'est très gentil, surtout quand elle reviennent de faire l'amour. "